POURQUOI LA GREVE ?

Publié le par grouillotdebase

Il faut bien le reconnaître, une grève qui n'emmerde pas les gens, c'est un peu comme une varicelle sans boutons: personne n'y fait attention.

Nous autres, les enseignants-chercheurs, ne sommes pas la catégorie socio-professionnelle dont les grèves sont les plus remarquées, et ce pour deux raisons: 1) on n'est presque jamais en grève et 2) quand on y est, tout le monde s'en fout.

Il faut peut-être expliquer en quoi consiste notre métier, pour ceux qui n'ont pas eu la chance de poursuivre des études supérieures. Et quand je dis poursuivre...
En gros, enseignant-chercheur c'est comme plombier-zingueur ou gynécologue-obstétricien: 2 mots, 2 fonctions.
Enseigner donc, un service statutaire de 192 heures équivalent TD par an. Là, c'est comme les tonnes équivalent pétrole, ça dépend de la qualité du combustible: il faut 1.5h de TP pour faire 1h de TD, et 1h de cours vaut 1.5 heure de TD. Une heure de surveillance d'examen ne vaut rien, pas plus que le temps passé en jurys et correction de copies.

Cette activité n'est pas évaluée. C'est-à-dire que l'on peut être un très mauvais enseignant pendant toute sa carrière et ne jamais en être inquiété. De toute façon, comment l'évaluer ? Par des questionnaires aux étudiants ? Pourquoi pas, mais le clientélisme est tentant: faites des modules faciles, demandant peu de travail et notez large, vous serez plébiscité. Par la proportion de réussite aux examens ? Là encore, des sujets faciles et des notes généreuses et hop ! Vous avez la médaille.
D'ailleurs en ce moment, c'est ce qu'on fait, grâce au LMD.
Le LMD, c'est la possibilité pour un étudiant de choisir n'importe quel module, pourvu que ce module lui rapporte les crédits nécessaires à la validation de son diplôme, et que les horaires soient compatibles entre les différents modules choisis, bien sûr.
Résultat: dans chaque module il y a 1/3 des gens qui ne comprennent rien, car ils viennent de cursus totalement différents, 1/3 des gens qui suivent à peu près et 1/3 qui s'ennuient à mourir car le niveau est trop bas, à cause des 2 premiers tiers.

Ensuite, il y a la recherche. Ca consiste à...  se poser des questions sur des problèmes encore non résolus, rédiger des projets pour obtenir des crédits, acquérir les données pour résoudre ces problèmes, les traiter, les interpréter, trouver une hypothèse, la soummettre à ses collègues, la présenter dans des congrès, la publier dans des revues scientifiques. Cette activité demande du temps de cerveau disponible, comme pour la publicité. Mais en mieux. De l'argent aussi, souvent, mais la qualité des recherches et des publications n'est pas proportionnelle à la somme investie.

Cette activité est évaluée: tous les 4 ans par l'AERES (autrefois le CNRS pour ses laboratoires associés), qui décortique les CV et publications de tous les personnels. Par le CNU, qui évalue les demandes de promotions. Par nous-mêmes, qui devons évaluer les articles soumis par nos collègues, et leurs demandes de crédits.

Donc, le calcul est facile: il faut, pour être bien noté, faire le strict minimum d'enseignement et cavaler à fond pour la recherche, publier et re-publier, au besoin plusieurs fois la même chose.

Alors oui, il faut réformer. Que nous propose-t-on ? De pénaliser les 'mauvais' chercheurs, ceux qui ne publient pas assez, en augmentant leur service d'enseignement, en allégeant d'autant les 'bons'. Que je sache, le bas calcul que je viens de décrire n'en sera que conforté; de laisser cette évaluation à la discrétion du Président d'Université, un dieu bienveillant qui saura, dans sa grande magnanimité, trier le bon grain de l'ivraie, sans favoritisme aucun... Rien que cette évocation me remplit de confiance.

Tout ceci s'accompagnant de suppressions de postes et de la création de gourmandes 'chaires d'excellence' qui demanderont plus de moyens et ne combleront pas le déficit d'enseignement.

Ajoutez le démantèlement du CNRS qui n'est plus qu'une coquille vide, amputée de ses moyens, de sa capacité d'évaluation et donc de son indépendance au profit de l'AERES (pour l'évaluation) et de l'ANR (pour le financement), cette dernière pilotant la recherche à court-terme, selon la mode, l'air du temps... Et même pas de façon cohérente. J'ai récemment demandé pour un étudiant une bourse de thèse ministérielle sur un sujet 'fléché' qui faisait partie des domaines de recherche soutenus par le ministère. En même temps, sur le site Web de l'ANR, il était stipulé que ce thème de recherche était exclu des appels d'offres. Donc, je peux prendre un étudiant en thèse, il aura un salaire pendant 3 ans mais je n'aurai pas les moyens de financer sa recherche ! Bravo.

Ce n'est pas de ce bourbier honteux que j'avais rêvé lorsque j'ai choisi cette voie. Je savais que j'aurais un salaire ridicule (2300 euros nets pour Bac + 8 et 10 ans d'ancienneté) mais j'imaginais qu'au moins je pourrais exercer mon métier, mes compétences, dans des conditions décentes.  Ce n'est pas le cas.










Publié dans Enseigneuse-cherchante

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